L'étrange minute où "The Tree of Life" de Terrence Malick s'est fait huer

 

La longue attente pour voir le dernier Terrence Malick a pris fin aujourd'hui. Six ans se sont écoulés depuis son dernier opus, "Le nouveau monde". C’est son cinquième film en quatre décennies.

 

Autant dire que j'ai mis mon réveil une heure plus tôt que les autres jours, ce matin, pour être parmi les premiers à piétiner devant le Palais des festivals. Je n’ai pas monté les marches du Palais des festivals, je les ai enjambées. Et quand je suis entrée à l’intérieur de la salle de projection plus d’une demi-heure avant le début du film, c'était déjà aux trois-quarts plein.

 

Pour tromper l'impatience, ça parle DSK autour de moi. "Tu crois qu’il a vraiment pu faire ça ?", "Naaan, c’est un coup monté", "Faudrait faire un reportage sur les femmes de chambre dans les palaces de Cannes"… Ça plaisante, ça débat dans le vide, ça sort ses carnets de note et ses stylos. L’air de rien, une armée de critiques de film se prépare à l’évènement réellement important du jour : voir Le Terrence Malick.

 

 

 

"Tree of Life" raconte la vie d’une famille bourgeoise dans le Texas des années 50. Brad Pitt joue un père autoritaire, colérique et pieux, organiste et pianiste à ses heures, insatisfait de sa vie professionnelle dans l’industrie pétrolière. Il cherche à transmettre à son fils aîné, Jack, la nécessité de s’endurcir et de se battre. "Toscanini [grand chef d’orchestre italien] enregistrait un œuvre 65 fois de suite, et n’était toujours pas satisfait. Réfléchis-y". Par contraste, la mère (Jessica Chastain) n’est qu’affection, contemplation, rires. Harmonieuse dans ses rapports avec ses trois fils et avec la nature, magnifiée par la douceur des rayons du soleil, Jessica Chastain fait la beauté du film.

 

Tout le monde s’accorde pour dire que Malick filme superbement. C’est peut-être sa façon de capter les ombres des enfants qui jouent, de s’intéresser à une grenouille dans les hautes herbes et de s’attarder sur Jessica Chastain sur une balançoire, qui fait l’attrait premier du film (tourné durant le printemps et l'été, pour privilégier la lumière naturelle. On en oublierait qu'il peut faire froid au Texas).

 


La perte du frère cadet, qui hante la mémoire de Jack devenu adulte (joué par Sean Penn), est le prétexte pour une longue exploration dans les confins de la pensée mystique de Terrence Malick.

 

Jack fouille dans ses souvenirs d’enfance : sa vision idéalisée de la mère, les colères explosives de son père, son expérience de la violence et de Dieu, sa fascination pour les dinosaures et les premières heures du monde. Cette exploration des origines se fait à la cadence d’une prière lente. Bref, une épopée autobiographique signée de Terrence Malick le démiurge.

 

Ca plaît ou déplaît fortement. Pour la première fois depuis le début du festival, des festivaliers ont hué.

 

À écouter ci-dessous : les trente dernières secondes du film (les dernières notes du requiem de Berlioz et les bruits de la ville), suivies de la réaction du public. Certains spectateurs ont commencé à huer trop tôt, avant d'avoir vu la toute fin du film. D'autres inconditionnels de Malick se sont levés pour une standing ovation...

 

 

 

 

Le directeur de la photographie, Emmanuel Lubezki, en revanche, a été très applaudi. De même qu’Alexandre Desplat, qui a signé la musique*.

 

Voici la réaction à chaud de Lisa Nesselson, critique de cinéma américaine :

 

 

 

Je suis d’accord avec Lisa : il faut être entièrement disponible pour voir un long-métrage de plus de deux heures qui questionne la vie et la mort. Ca pourrait même manquer de cohérence. C'est l'histoire de cette famille texane, la dureté morale de Brad Pitt et la douceur angélique de Jessica Chastain qui servent de colonne vertébrale au film.

 

 

Mon seul regret porte sur les vingt dernières minutes du film. Est-ce la fatigue du milieu du

festival ? Ou l'impression que Terrence Malick nous perd pour de bon ? Toujours est-il qu'il aurait peut-être pu nous épargner une grande réconciliation familiale dans l’au-delà, au bord de la mer, les pieds dans l’eau.

 

 

En sortant de la salle de projection, je tombe sur Mahamat-Saleh Haroun. Je vous confirme ce que je vous disais hier : le Tchadien, membre du jury, préfère marcher depuis le Carlton jusqu’au Palais des festivals plutôt que d’avoir un chauffeur. Autre confirmation : il est tenu au silence le plus strict et ne souhaite pas donner son avis sur le film de Malick. Dommage. "The Tree of Life" a longtemps été pressenti pour la Palme d’Or, mais là, je ne suis plus sûre de rien.

 

* La bande-son mêle la voix d’une mezzo-soprano aux chants des ruisseaux, les chœurs chantant des requiem aux cris de douleur. Musique interprétée par l’Orchestre symphonique de Londres, à partir du requiem de Berlioz, de la symphonie n°4 de Brahms, du requiem de Preisner ou encore de la "Moldau" de Smetana.

 

 

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3 Comments
J'ai adoré ce film. Il est tout simplement extraordinaire. Je comprends qu'on puisse ne pas aimer, mais huer un film, même le plus mauvais du monde (et j''en ai vu quelques unes des bouses à Cannes) je trouve ça vraiment je trouve ça vraiment irrespectueux.
Merci pour votre commentaire. Le cinéaste américain Terrence Malick se revendique comme catholique. Et il me semble que la famille O'Brien, mise en scène dans le film, est bel et bien d'obédience catholique. Mais dans le doute, j'ai préféré retirer cette mention. Cordialement, PL.
La famille décrite dans le film n'est pas catholique mais baptiste. Les baptistes sont des chrétiens, comme les catholiques, mais ils sont une branche issue du protestantisme et n'ont donc pas grand chose à voir avec l'église catholique, si ce n'est un corpus initial en commun. C'est un peu comme des cousins éloignés... Pour en avoir rencontré aux Etats-Unis, ils sont beaucoup plus fervents et prosélytes que ne le sont généralement les catholiques. Cette précision me semblait nécessaire car beaucoup de gens ne connaissent pas grand chose à la religion et font du catholicisme une sorte de grand fourre-tout sans doute très pratique mais plus fantasmé qu'exact. Il faut dire que la nature humaine s'accommode très bien des lieux communs car appréhender la complexité des choses, ça fait toujours un peu mal à la tête.

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