Lars Von Trier, Amr Waked et Denis Podalydès : trois styles de montée des marches

La première fois que j’ai entendu crier "Raouuuuul !" au début d’une projection à Cannes, j’ai cru que c’était une private joke, une plaisanterie entre deux copains. Mais comme la blague se répète quasiment à chaque séance, avec mon collègue Jon (lire son excellentissime blog ici), on a commencé à se poser des questions.

 

Et voilà qu'à la séance de 22h hier soir, le voisin du rang juste derrière moi s’égosillait d’un "Raoouuuul !" au début de la séance. Je me suis jurée de l’interroger à la fin du film. Cette perspective m’a tenue pendant une heure trente. Sinon, je crois que je serai partie bien avant. La Japonaise Naomi Kawase présentait son long-métrage en compétition, "Hanezu No Tsuki", et j’étais sûrement trop fatiguée pour en apprécier la poésie.


Raooouuul a donc bel et bien une histoire. Ce sont deux habitués du Festival de longue date, deux journalistes, qui me l'ont racontée...

 

Les explications au "Raoooouuuul!"


Un autre nom fait le tour de Cannes, ce mercredi. Mais la situation est beaucoup plus embarrassante. Lorsqu’elle l’a entendu, Kirsten Dunst a soufflé un "Oh My God !" et Charlotte Gainsbourg a lutté pour rester impassible. Lars Von Trier, qui présentait son film "Melancholia" en conférence de presse, a parlé d'Adolphe Hitler comme de quelqu'un qu'il "comprend".  Pour remettre dans le contexte : le cinéaste parlait de ses origines allemandes, qu’il a récemment découvertes. "J’ai longtemps cru que j’étais juif […], et puis j’ai compris que j’étais nazi. […] Je comprends Hitler. Je pense qu'il a fait de mauvaises choses, absolument, mais je peux l'imaginer assis dans son bunker à la fin. […] J’ai de la sympathie pour lui." Plus tard dans la journée, il s’est "excusé" par un communiqué transmis à l’AFP, se défendant d'être antisémite, raciste ou nazi. Mais la Croisette parle plus que de cela : le tatouage "Fuck" sur les phalanges de Lars Von Trier, et sa fascination pour le Führer…

 

Lars Von Trier photographié par Mehdi Chebil pour FRANCE 24


Le scandale a donc eu lieu dans la conférence de presse, plutôt qu’en salle de projection. Lars Von Trier avait plutôt habitué Cannes au scénario inverse (cf la violence effarante du film "Antichrist", sélectionné en 2009). Cette fois, son film, "Melancholia", est relativement sage et ultra-esthétique. Le film traite de la folie dépressive et de la fatalité : celle de Justine (Kirsten Dunst) qui s’applique à transformer en cauchemar son propre mariage, et celle de sa sœur Claire (Charlotte Gainsbourg) qui panique devant la collision annoncée de la Terre avec la planète Melancholia. Lars Von Trier et Terrence Malick doivent avoir des choses à se raconter.

 

 

 

Autre scandale du jour : celui qui entoure le film "18 jours" sur la révolution de la place Tahrir, présenté ce soir au Palais des festivals. Une "journée spéciale Égypte" a été prévue depuis plusieurs semaines, pour, dixit le communiqué du Festival, célèbrer "un grand pays de cinéma (…) qui a signalé au monde son besoin de changer d’histoire, son besoin de liberté, sa force collective et son désir de démocratie en faisant la révolution du 25 janvier".


Or, les Egyptiens ont passé au peigne fin la liste des invités à cette soirée. Et plusieurs centaines d’entre eux ont signé une pétition pour dénoncer la présence à Cannes de deux cinéastes qui ont tourné des films pro-Moubarak lors de la campagne présidentielle de 2005, Sherif Arafa et et Marwan Hamed (lire notre précédent billet de blog sur le sujet).


Amr Waked (photo ci-dessous), acteur et producteur égyptien qui a participé au film "18 jours", refuse même de monter les marches, ce soir. Avec mon collègue Jon Frosch, nous l’avons rencontré hier.

 

 

Pourquoi refuser de monter les marches ?


À cause du côté malsain de l’événement. J’aurais volontiers monté les marches si le film avait été sélectionné dans une compétition, comme Un Certain Regard ou la Quinzaine des Réalisateurs. Ici, la projection de "18 jours" est éminemment politique.


Surtout, je ne veux pas monter les marches aux côtés de personnes qui se sont compromises avec le pouvoir de Moubarak. Certains des invités à Cannes se sont montrés très agressifs envers la révolution. D’autres ont même porté secours à Hosni Moubarak. Il n’y aura de réconciliation nationale que lorsque ces personnes reconnaîtront qu’elles ont fait des erreurs.


"18 jours" est un film sur la révolution. Et deux des cinéastes ont fait la campagne de Moubarak en 2005. C’était il y a longtemps, et je suis sûr qu’ils ont reçu des pressions pour le faire. Mais à présent que la révolution a dévoilé la vaste corruption du régime de Moubarak, il faut qu’ils annoncent publiquement qu’ils ont changé de point de vue.


Est-ce que tous les membres du cinéma égyptien n'ont pas bénéficié, directement ou indirectement, des largesses de Moubarak ?


Hosni Moubarak ne s’intéressait pas du tout au cinéma, il haïssait l’industrie des films. Le cinéma égyptien était à l’agonie, financé par les pays du Golfe. Le régime égyptien n’a favorisé que les films qui ne lui faisaient pas de l'ombre.

 

Lire l'intégralité de l'interview en anglais en cliquant ici, et voir le reportage France 24 ci-dessous :

 

 

Autre grand absent à la montée des marches ce soir : Nicolas Sarkozy. Son double, Denis Podalydès, en revanche, s’est fait un plaisir de fouler le tapis rouge. Il figurait aux côtés de toute l’équipe de "La Conquête", film très attendu de Xavier Durringer, présenté hors-compétition. "L’enjeu est d’avoir une photo avec toute la brochette d'acteurs, m’a expliqué un photographe de presse, et qu’on ait l’impression d’avoir Jacques Chirac, Dominique de Villepin, Nicolas Sarkozy et Cécilia côte à côte, à Cannes".

 

 


Bernard Le Coq (Jacques Chirac), Samuel Labarthe (Dominique de Villepin), Denis Podalydès (Nicolas Sarkozy) et Florence Pernel (Cécilia Sarkozy) ont certes été extrêmement convaincants sous les ors de l’Elysée. La première fois que Denis Podalydès a ouvert la bouche, on aurait jurer entendre le président de la République. Mais Xavier Durringer n’a pas été aussi pugnace et impertinent qu’on l’aurait souhaité. Les montées de Nicolas Sarkozy sur scène ont beau être accompagnées d'une musique de cirque, l'effet n'est que gentiment grinçant. C’est au final un très bon téléfilm.

 

Et pour le cliché "plus vrai que nature" sur le tapis rouge, voulu par les photographes, il faudra repasser. Florence Pernel a les cheveux blonds, Denis Podalydès s’est laissé poussé la barbe et Bernard Le Coq a les cheveux blancs. La fiction n’a pas rattrapé la réalité.


Les acteurs de "La Conquête" photographiés par Mehdi Chebil pour FRANCE 24.

 

Voir l'interview de FRANCE 24 avec Xavier Durringer (vidéo ci-dessous) :

 

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